Le département « Dispute Resolution » de Simmons & Simmons est ravi de partager avec vous sa newsletter trimestrielle relative aux actualités phares en lien avec le contentieux.
Chaque trimestre, nos équipes vous proposent un éclairage sur les évolutions récentes et les derniers développements afin de vous offrir une vue d’ensemble du paysage du contentieux en France.
Droit civil et commercial
Par un arrêt du 5 février 2025 (pourvoi n° 23-10.953), la Chambre commerciale de la Cour de cassation a réaffirmé que le droit à la preuve peut justifier la production d'éléments couverts par le secret des affaires, à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l'atteinte portée soit strictement proportionnée à l’objectif poursuivi.
Dans le cadre d’un contentieux en concurrence déloyale, la Cour d’appel de Paris avait condamné deux sociétés à des dommages et intérêt pour avoir produit, au cours de l’instance, une pièce protégée par le secret des affaires de leur concurrente.
Saisie d’un pourvoi, la Cour de cassation rappelle que plusieurs principes juridiques peuvent tempérer la nécessité de protéger le secret des affaires :
- l’article L. 151-8, 3° du Code de commerce, qui dispose qu’à l'occasion d'une instance relative à une atteinte au secret des affaires, le secret n'est pas opposable lorsque son obtention, son utilisation ou sa divulgation est intervenue pour la protection d'un intérêt légitime reconnu par le droit de l'Union européenne ou le droit national, et
- l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dont il découle que le droit à la preuve peut justifier la production d'éléments couverts par le secret des affaires, à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l'atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.
La Cour de cassation casse alors la décision d’appel pour ne pas avoir recherché :
- d’une part, si la pièce produite par les deux sociétés condamnées n'était pas indispensable pour prouver les faits allégués de concurrence déloyale reprochés à leur concurrente,
- d’autre part, si l'atteinte portée au secret des affaires de leur concurrente par l’obtention ou la production de la pièce en question n'était pas strictement proportionnée à l'objectif poursuivi.
Cette décision s’inscrit dans la continuité d’un autre arrêt récent (5 juin 2024, n° 23-10.954) qui avait ��galement écarté le secret des affaires par l’impératif du droit à la preuve. Ces solutions rappellent que le droit à la preuve peut non seulement permettre l'admission de preuves obtenues en violation du secret des affaires, mais aussi exonérer la partie qui les produit de toute responsabilité civile et donc du paiement de dommages et intérêts.
La démonstration du caractère indispensable de la pièce normalement protégée peut toutefois s’avérer délicate en pratique. De plus, l’issue du contrôle de proportionnalité réalisé par le juge au cas par cas est par nature incertaine.
Rendue à l’occasion d’un contentieux en concurrence déloyale, la solution appliquée par la Cour de cassation a vocation à s’appliquer à tout procès civil et commercial.
Compliance & anti-corruption
Un an après notre dernier panorama sur les conventions judiciaires d’intérêt public (CJIP), l’actualité continue d’illustrer l’évolution du paysage de la justice négociée en matière d’atteintes à la probité. Parmi les dernières CJIP conclues, plusieurs concernent des faits de corruption d’agents publics étrangers, confirmant une tendance forte, notamment dans des secteurs stratégiques à l'international. Cette fréquence illustre l'attention accrue portée par les autorités à ces pratiques tout en témoignant de l'évolution des attentes en matière d’efficacité des dispositifs de prévention de la corruption mis en place par les entreprises.
Décidément installé dans l’arsenal des poursuites, ce mécanisme continue de susciter des débats, tant sur l’évaluation des sanctions que sur la place laissée aux victimes. L’ONG Transparency International relevait récemment que la réparation des préjudices causés par la corruption reste très limitée dans la pratique des CJIP. L’identification des victimes est souvent complexe, notamment dans les affaires de corruption transnationale. L’absence de critères clairement définis pour évaluer les préjudices subis rend leur prise en compte incertaine dans le cadre des CJIP. Cela pose la question de la finalité de ces accords : doivent-ils uniquement sanctionner ou également intégrer une dimension réparatrice ?
La fixation des amendes demeure difficilement prévisible. Une CJIP récente impliquant une société du secteur de la défense a mis en lumière les écarts pouvant exister entre les méthodes de calcul officielles et les montants finalement arrêtés (CJIP validée le 10 juillet 2024). Le manque de transparence sur la pondération des facteurs minorants et majorants contribue à l’incertitude entourant ces négociations, compliquant ainsi l’anticipation du risque juridique pour les entreprises.
Le sort des dirigeants d’entreprise dans ces procédures est une autre zone d’ombre persistante. Si la CJIP permet à la personne morale d'éviter des poursuites pénales, les décisions récentes montrent que les responsables physiques peuvent faire l'objet de mises en examen postérieures, comme cela a été le cas pour le fondateur d'un acteur majeur du secteur du recyclage et de la gestion des déchets (CJIP validée le 11 février 2025). Cette situation fait écho à une affaire médiatisée dans le secteur du transport et de la logistique, où la CJIP n'a pas empêché les poursuites contre certaines personnes physiques impliquées (CJIP du 9 février 2021). Cette question a d'ailleurs conduit à une réforme entrée en vigueur en septembre 2024, visant à encadrer davantage l'articulation entre CJIP et poursuites des personnes physiques. Désormais, après un refus d’homologation d’une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC), le parquet peut proposer une nouvelle peine prenant en compte les remarques du juge du siège, afin d’éviter des situations où des personnes physiques se retrouvent dans une incertitude prolongée sur leur sort judiciaire (article 495-12 du Code de procédure pénale).
Enfin, une CJIP récente dans le secteur de l'énergie et des ressources naturelles s’inscrit dans la continuité des développements jurisprudentiels sur le transfert de la responsabilité pénale en cas de fusion-absorption, confirmant que la société absorbante peut répondre des faits de la société absorbée (CJIP validée le 9 décembre 2024). Cette évolution, désormais bien ancrée dans la jurisprudence, renforce la vigilance nécessaire lors d'opérations de restructuration d'entreprise, les risques pénaux pouvant se transmettre avec les actifs.
Si ces conventions offrent aux entreprises une voie alternative aux poursuites judiciaires classiques, elles continuent de soulever des interrogations quant à leur lisibilité et leur portée pour les acteurs économiques.
RSE
À la suite d’une mise en demeure du mois de septembre 2022, trois organisations non-gouvernementales (ONG) – ClientEarth, Surfrider Foundation Europe et Zero Waste France – avaient assigné le groupe Danone, en janvier 2023, devant le Tribunal Judiciaire de Paris sur le fondement de la loi relative au devoir de vigilance.
Les ONG avançaient que le groupe Danone utiliserait trop de plastique pour les besoins de ses activités (notamment, afin d’emballer ses produits) et n'aurait pas adopté de mesures adéquates afin de remédier aux conséquences liées à son utilisation du plastique. Les ONG avaient sollicité du Tribunal qu’il enjoigne au groupe Danone :
- de cartographier les impacts de son utilisation du plastique sur l'environnement, le climat, la santé et les droits de l’homme ;
- de fournir une évaluation complète de son empreinte « plastique », tenant compte de tous les plastiques utilisés par le groupe Danone au travers de l’ensemble de ses activités (production des produits, transport, logistique, promotion et commercialisation des produits plastiques) ; et
- d’élaborer un plan de « déplastification », sur la base de l’évaluation susvisée, comprenant des objectifs à mettre en œuvre dans des délais à définir.
En septembre 2023 et à la suite de l’accord des parties, le Tribunal Judiciaire de Paris a ordonné une médiation judiciaire afin que les ONG et le groupe Danone puissent trouver une solution amiable à leur différend.
Cette médiation judiciaire vient de se terminer au mois de février 2025. À l’issue de celle-ci, les ONG et le groupe Danone sont parvenus à un accord concernant la prise en considération, par le groupe Danone, des risques liés à l'usage du plastique dans son plan de vigilance. Aux termes de l’accord, qui met d’ailleurs fin à la procédure judiciaire, le groupe Danone s’est donc engagé, dans le cadre de son plan de vigilance, à prendre les mesures suivantes :
- actualiser son évaluation des risques liés à l'usage du plastique ;
- renforcer sa politique d’atténuation et de prévention des risques liés à l’usage du plastique, en particulier par la mise en œuvre de solutions de réemploi et de recyclage ; et
- publier son empreinte « plastique ».
Surtout, il a été convenu que le groupe Danone et les ONG se réunissent, chaque année jusqu’en 2027, afin de suivre l’avancée des mesures prises le groupe Danone.
Le litige dont il est question est finalement une illustration de la volonté qui a été celle du législateur français à travers la loi relative au devoir de vigilance, à savoir la mise en place d’une réelle concertation entre les entreprises et les parties prenantes, dont font partie les ONG. Les engagements pris par le groupe Danone démontrent effectivement la place prépondérante que les ONG, en tant que parties prenantes, peuvent avoir dans le paysage de la RSE ainsi que dans l’élaboration de la politique RSE des entreprises. Le récent projet de législation européenne dit « Omnibus » n’entend cependant pas abonder dans le même sens puisqu’il envisage de supprimer les ONG de la définition des parties prenantes prévue par la directive européenne sur le devoir de vigilance du 13 juin 2024.
Responsabilité
Dans le cadre du dossier dit « Dépakine », et en particulier sur la question de la responsabilité de l’Etat en matière d’information sur les risques sanitaires, la Cour administrative d’appel de Paris a rendu cinq arrêts le 14 janvier 2025.
Au cas d’espèce, les demandeurs avaient saisi le tribunal administratif de Montreuil de condamner l’Etat à les indemniser de leurs préjudices résultant des fautes commises par l’Etat dans l’exercice de son pouvoir de police sanitaire relative à la spécialité pharmaceutique Dépakine.
Le premier juge administratif reconnaît la responsabilité pour faute de l’Etat, en ce que l’Agence Nationale du Médicament (ANSM) a manqué à ses missions de pharmacovigilance et à son obligation de contrôle sanitaire. Le tribunal précise néanmoins que si l’Etat est en effet responsable, il ne le serait que partiellement, dans la mesure où le laboratoire et les médecins prescripteurs ne pouvaient être exonérés de leur responsabilité propre.
Les victimes et leurs familles ont interjeté appel de cette décision, considérant que leurs demandes n’avaient été que partiellement tranchées par les juges.
La question posée à la Cour administrative d’appel était la suivante : les manquements de l’ANSM à ses obligations de contrôle engagent-ils sa responsabilité dans la survenue des troubles chez les enfants exposés à la Dépakine, offrant à ces derniers ainsi qu’à leur mère un droit à indemnisation total ?
La Cour administrative d’appel a répondu par la positive, confirmant la position de principe posée par les premiers juges, mais infirmant le jugement s’agissant du partage de responsabilité.
A titre liminaire, le lien de causalité entre l’exposition à la Dépakine et la survenue des troubles avait été reconnu direct et certain aux termes des rapports d’expertise déposés. Les débats portaient donc essentiellement sur la question des informations délivrées aux patientes par le biais des documents réglementaires et des professionnels de santé.
Il s’agissait pour la Cour de déterminer si les patientes avaient disposé d’une information complète lors de l’administration du traitement et, si tel n’était pas le cas, quelle était la responsabilité de chacun des intervenants (ANSM, laboratoires, médecins prescripteurs).
La Cour administrative d’appel retient que :
- Lorsque des fautes ont été commises par le laboratoire ou les médecins prescripteurs, celles-ci sont de nature à exonérer partiellement ou totalement l’Etat de son obligation d’indemnisation ;
- Le laboratoire n’a pas commis de faute pour les grossesses menées en 2006, 2008 et 2009 dans la mesure où sa proposition de modification des informations n’avait pas été retenue par l’ANSM ;
- Sauf cas particulier, les médecins prescripteurs ne sont pas fautifs.
Compte tenu de ces circonstances, la Cour administrative d’appel, en conséquence, a retenu que seule l’ANSM était responsable et a condamné l’Etat à indemniser les victimes, sans qu’un partage de responsabilité ne soit ici justifié.
Il convient de noter que si la Cour administrative d’appel consacre la responsabilité de l’Etat du fait des manquements de l’ANSM à son obligation de contrôle, elle rappelle que la signature d’un protocole valide entre les demandeurs et l’ONIAM dans le cadre de la procédure éteint toute créance que les requérants invoquaient devant l’Etat.
Droit des sociétés
Toutes les sociétés commerciales ont vocation à distribuer des dividendes à leurs associés. Cette distribution nécessite en premier lieu l'approbation des comptes par l'assemblée générale, qui décide de l'affectation du bénéfice distribuable et approuve ensuite la distribution des dividendes.
S’agissant du report à nouveau bénéficiaire, représentant une partie du bénéfice n’ayant pas été distribué lors de l’approbation des comptes, la pratique retient que toute assemblée générale peut procéder à sa distribution, de manière exceptionnelle et en cours d’exercice.
Suivant un arrêt de principe rendu le 12 février 2025, la Cour de cassation s’est prononcée contre cette pratique : selon la Cour, le report bénéficiaire d'un exercice est inclus dans le bénéfice distribuable de l'exercice suivant, de sorte que seule l'assemblée approuvant les comptes de cet exercice pourra décider son affectation et, le cas échéant, sa distribution.
La Cour de cassation en tire une conclusion sévère : la délibération d'une assemblée générale autre que celle approuvant les comptes de l'exercice décidant la distribution d'un dividende prélevé sur le report à nouveau bénéficiaire d'un exercice précédent, encourt la nullité.
Au travers d’un attendu fondé sur la combinaison des articles L.232-11 et L.232-12 du Code de commerce, la Cour de cassation vient donc décider que le report à nouveau bénéficiaire, qui est une composante du bénéfice distribuable, ne peut être distribué de façon autonome, c’est-à-dire à un autre moment qu’au cours de l’assemblée générale ordinaire annuelle ayant préalablement constaté ce bénéfice.
La nullité des décisions évoquée semblant être de droit, se trouvent ainsi exposées les distributions ayant eu lieu il y a moins de 3 ans conformément à l’article L.235-9 du Code de commerce, soit celles survenues depuis février 2022. Il convient néanmoins de relever qu’elles demeurent régularisables, la prochaine assemblée pouvant aisément s’en charger par une décision dédiée.

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