Le 16 janvier 2023, le Parquet National Financier (PNF) – autorité judiciaire « chef de file » en matière de corruption internationale conformément à la circulaire de politique pénale du 2 juin 20201 – a mis à jour ses lignes directrices sur la mise en œuvre de la convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) publiées initialement le 29 juin 2019 conjointement avec l’Agence française anticorruption (AFA).
Ces nouvelles lignes directrices étaient attendues par les praticiens en vue de clarifier notamment les modalités de la négociation avec les procureurs du PNF, d’apporter davantage de prévisibilité dans le dialogue avec les entreprises. Elles étaient également attendues quant au sort réservé aux personnes physiques dans le contexte post conclusion des CJIP. Nous vous proposons de revenir ci-dessous sur les principaux apports de cette révision.
1. Objet et champ d’application.
Il convient de rappeler que dans leur version issue de la publication du 29 juin 2019, les lignes directrices PNF-AFA limitaient expressément leur champ d’application aux CJIP « mises en œuvre dans le cadre de dossiers portant sur des faits de corruption et de trafic d’influence »2. Dans son actualisation, le PNF précise que cette nouvelle version a vocation à s’appliquer aux CJIP mises en œuvre « en matière de corruption, de trafic d’influence, de fraude fiscale et de blanchiment de ces délits ». A noter que la CJIP concernant les infractions environnementales3 est expressément exclue du champ de ces lignes directrices mises à jour, ces infractions échappant à la compétence du PNF.
La CJIP, outil de « justice négociée » introduit par la loi « Sapin 2 », promulguée le 9 décembre 2016, peut être proposée par le PNF à toute personne morale mise en cause dans le cadre d’une enquête préliminaire ou d’une information judiciaire pour les infractions ci-dessus mentionnées ainsi que « toute infraction connexe ». Elle peut comporter pour la personne morale l’engagement de payer une amende d’intérêt public, de mettre en place un programme de conformité (la « peine de mise en conformité ») sous le contrôle de l’AFA et de réparer le préjudice, le cas échéant causé aux victimes identifiées.
2. Rappel des avantages du mécanisme.
Le PNF ne manque pas d’énumérer les différents avantages connus qui découlent de la conclusion de la CJIP pour la personne morale concernée, au premier rang desquels figurent notamment l’absence de déclaration de culpabilité et l’extinction de l’action publique la concernant, la célérité de la voie transactionnelle, les répercussions réputationnelles …
Dans le contexte d’investigations simultanées par des autorités étrangères, le PNF présente le recours à une CJIP comme un outil permettant de créer « les conditions d’une coordination avec les autres autorités, favorisant ainsi la conclusion simultanée d’accords cohérents ».
Cette mise-à-jour des lignes directrices concernant la CJIP est concomitante de l’annonce, le 17 janvier 2023, par le US Department of Justice d’une révision de sa politique d’application du FCPA aux entreprises concernées4. À cet égard, relevons que ces récentes publications tendent dans leurs révisions respectives à amplifier leur mécanisme incitatif pour les entreprises à (i) s’autodénoncer volontairement et rapidement aux autorités compétentes, (ii) à coopérer pleinement avec celles-ci, de même que (iii) à développer et maintenir des programmes de conformité robustes.
3. L’entrée en négociation.
Aux termes des article 41-1-2 et 180-2 du Code de procédure pénale (CPP), c’est au Parquet qu’il appartient d’initier les démarches en proposant aux personnes morales qu’il a identifiées de recourir à une CJIP. Néanmoins, conscient qu’une telle démarche puisse paraître contradictoire au vu de la transparence attendu de la part des personnes morales concernées, le PNF admet depuis 2019, en pratique, que la demande puisse provenir du représentant légal ou des conseils de la personne morale. À ce titre, le PNF précise désormais expressément qu’il est disposé à l’ouverture de pourparlers informels, étant précisé que l’écrit n’est pas nécessaire pour engager des discussions préalables. Le PNF fixe néanmoins certaines conditions à cette démarche :
Aucune discussion ne pourra aboutir dans les « cas incluant à titre connexe des atteintes graves aux personnes » ;
Une coopération de « bonne foi » de la personne morale est requise : il est important de rappeler que la reconnaissance préalable des faits, de même que l’acceptation de la qualification pénale qui serait proposée par le ministère public, n’est plus une condition de mise en œuvre de la CJIP – et cela quand bien même, selon le PNF, une reconnaissance « non équivoque » des faits constitue une indication de coopération ainsi qu’un facteur minorant du montant de l’amende.
La révélation spontanée dans un « délai raisonnable » est considérée comme un gage de cette bonne foi. En particulier, le PNF attend de la personne morale « qu’elle ait activement participé ou souhaite participer à la manifestation de la vérité au moyen d’une enquête interne » et qu’elle lui transmette l’ensemble des éléments liés à celles-ci (rapport d’enquête ou son contenu détaillé, actes d’enquête interne réalisés au cours de la procédure judiciaire…).
Aussi, la mise en œuvre spontanée d’un programme de conformité pour les personnes morales hors du champ de l’art. 17 de la loi Sapin II (obligation de conformité anticorruption), l’adaptation de la stratégie du groupe aux risques identifiés, la modification éventuelle de l’équipe dirigeante et l’indemnisation préalable des victimes constituent autant de facteurs pris en compte au titre de la bonne foi selon le ministère public.
Concernant l’infraction de fraude fiscale, il sera nécessaire pour la personne morale de régler sa situation avec l’Administration avant toute négociation avec le Parquet.
4. Confidentialité des échanges et documents transmis.
L’un des axes sensibles de la mise en œuvre de la CJIP réside dans la délicate question de la confidentialité des éléments transmis au ministère public par la personne morale aux stade de l’accès au dossier de la procédure et de la négociation de la convention.
Le PNF distingue la discussion informelle préalable et celle qui entre sous la protection de l’article 41-1-2 du CPP. Tant qu’aucun caractère formel n’aura été donné aux négociations – dont la date est fixée d’un commun accord avec l’entreprise – aucune information n’est, en principe, protégée par la confidentialité.
Ainsi, les informations transmises durant les discussions informelles, qui ne portent que sur l’opportunité de la procédure de la CJIP, pourront le cas échéant être utilisées par le Parquet en cas d’échec des négociations. Le PNF précise ensuite au cas par cas avec la personne morale et ses conseils, les modalités et le statut de leurs échanges en matière d’opposabilité et de confidentialité :
- Les échanges oraux se font sous le sceau de la confidentialité et de la « foi du palais » ;
- Les éléments de preuve restent utilisables lorsqu’ils sont obtenus par voie de réquisition, ou de saisie ;
- Les pièces remises pendant la négociation, telles que les courriels, documents comptables, extractions de données numériques, les présentations et notes d’avocats ne sont, sauf accord de la personne morale, pas versées dans la procédure.
Si ces précisions ont le mérite de la clarté, il ne peut totalement être préempté que ces éléments dont le ministère public aura, le cas échéant, pris connaissance ne seront pas exploités pour orienter ses éventuels actes d’enquête hors du cadre de la CJIP, par exemple dans le cadre d’une enquête préliminaire parallèle. Dans ces circonstances, ces aspects doivent nécessairement être appréhendés avec la plus grande prudence, sans quoi la défense de la personne morale – de même que celle de ses dirigeants personnes physiques, le cas échéant – pourrait s’en trouver, si ce n’est anéantie, considérablement affaiblie.
Focus sur le sort réservé aux personnes physiques : ces nouvelles lignes directrices ne lèvent pas l’insécurité régnant concernant l’articulation entre la procédure de la CJIP, applicable exclusivement aux personnes morales, et celle du « plaider-coupable » applicable aux personnes physiques (la CRPC) née d’une récente affaire largement commentée dans laquelle, nonobstant la validation de la CJIP pour la personne morale par le tribunal, ce dernier avait refusé de valider les CRPC proposées par le PNF pour certains dirigeants de ladite personne morale – ceux-ci étant dès lors renvoyés devant le tribunal correctionnel pour les mêmes faits que ceux ayant donné lieu à la conclusion de la CJIP avec ce que cela comporte d’affaiblissement potentiel de leurs stratégie et moyens de défense.
Dans une rubrique finale relative au « sort des personnes physiques », le PNF précise notamment que « sauf cas particulier qui ne lui serait pas défavorable, aucune personne physique n’est nommément désignée dans le texte de la CJIP » et de rappeler, s’agissant de la question de l’engagement des poursuites, qu’« un règlement simultané et conjoint de leurs situations [personne morale et personnes physiques] est préféré chaque fois que le dossier probatoire et les faits concernés le permettent ».
Ces quelques précisions ne sont pas de nature à répondre aux préoccupations des praticiens quant au renforcement de la sécurité juridique des personnes physiques dans la mise en œuvre de la CJIP dès lors que la loi édicte elle-même que l’accord n’éteint pas les poursuites à l’encontre des personnes physiques.
5. Modalités de calcul de l’amende d’intérêt public.
Le PNF précise son interprétation quant au calcul du plafond de l’amende qui peut être imposée à une entreprise dans le cadre d'une CJIP, dans le contexte d’un groupe de sociétés. Ainsi, si les textes prévoient que celle-ci ne saurait être d’un montant excédant 30 % de leur chiffre d'affaires annuel moyen au cours des trois exercices précédents, le PNF précise que si les comptes des sociétés concernées sont consolidés, le chiffre d’affaires pris en compte sera celui inscrit dans les comptes consolidés du groupe auquel elles appartiennent.
En outre, les modalités de fixation de l’amende sont revues et détaillées permettant désormais de hiérarchiser les facteurs majorants et minorants qu’applique le PNF. Ainsi chaque critère fixé donne lieu à la détermination d’un facteur majorant ou minorant dans la limite de son plafond, par exemple :
- Parmi les facteurs majorants : caractère répété des actes (50%), toute forme d’obstruction à l’enquête (30%), implication d’un agent public (30%), etc.
- Parmi les facteurs minorants : révélation spontanée (50%), indemnisation préalable des victimes (40%), coopération active (30%), efficacité du système d’alerte interne (10%), etc.
Le PNF indique également sans équivoque qu’il se réserve le droit, une fois le montant de l’amende fixé, de majorer ou minorer celui-ci notamment s’il estime qu’il existe un « écart significatif entre l’évaluation des avantages tirés des manquements à la date de la CJIP et leur évaluation prévisionnelle à la date des manquements ». De la même façon, il pourra procéder à une minoration lorsque des difficultés financières étayées par une documentation probatoire sont établies par la personne morale concernée.
Conclusion.
Si ces lignes directrices actualisées s’inscrivent dans la droite ligne de celles publiées en 2019, elles apparaissent complétées de précisions utiles à la pratique de ce mécanisme souvent critiqué pour son manque de lisibilité, principalement de nature à renforcer sa prévisibilité pour les entreprises. Dans le cadre imposé par les textes, elles demeurent également un outil offrant au PNF, ainsi que dans une certaine mesure aux personnes morales, une relative marge de manœuvre dans le processus de négociation.
Le sort des personnes physiques reste un point d’attention qui nécessite d’être clarifié, le cas échéant par le législateur qui pourrait d’ailleurs y voir un moyen de renforcer l’intérêt d’entrer en CJIP pour les entreprises, cela à l’aune de l’extension du champ d’application matériel du mécanisme, notamment en dernier lieu aux infractions environnementales.
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1 https://www.simmons-simmons.com/en/publications/ckdg3kw619k060943t35wxbm2/comment-la-france-intensifie-la-lutte-contre-la-corruption
2 Lignes directrices PNF-AFA sur la mise en œuvre de la CJIP, publiées le 29 juin 2019
3 Loi n°2020-1672 du 24 déc. 2020
4 9-47.120 – FCPA Corporate Enforcement Policy, Janvier 2023





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